la machine à images

Il y a quelques semaines, j’ai découvert un compte Twitter qui relayait des images générées par une intelligence artificielle, @images_ai. Bon, ce n’est pas mon domaine mais en gros il s’agit d’un algorithme qu’on a entraîné en lui montrant des tonnes d’images à suivre comme exemple, de manière à ce qu’il puisse à son tour générer une image grâce à ce qu’il a appris (d’ailleurs ça s’appelle du machine learning, le terme est plutôt transparent). Bien sûr, comme j’adore ce genre de trucs j’ai voulu tester, et après avoir un peu galéré avec l’interface assez obscure pour moi et en espagnol, j’ai commencé à m’amuser avec ce qui allait devenir mon OBSESSION des jours suivants.

le début de l’exploration

L’interface est un “algorithme en kit”, avec plusieurs actions prédéfinies qu’il faut lancer en respectant leur ordre. On peut customiser pas mal de paramètres, mais ce qu’on va surtout modifier, c’est le prompt, ou le sujet que l’on donne à l’IA, sous forme de texte. J’ai commencé par ce qu’on voit ci-dessus, “my best friend painting”. L’IA va alors générer une première image qui ne ressemble à rien (du gris vaguement texturé), puis va lancer de nouveau le sujet demandé, en partant cette fois de l’image qu’elle vient de générer. Ainsi, d’itération en itération, l’algorithme va tendre de plus en plus vers le sujet qui lui a été demandé.

a castle in the sky

Par défaut, le programme nous montre son travail toutes les 50 itérations, et ne s’arrête de mouliner que si on lui demande. En général je préfère lui donner un nombre d’itérations défini, comme ça je le laisse tourner sans m’en occuper, et j’ai une notification quand c’est fini. Pour donner une idée, 500 itérations permettent d’avoir une image déjà assez développée, c’est suffisant pour savoir dans quelle direction l’IA est allée. 1000 itérations, et on a une image mieux définie, plus précise dans ses intentions. Parfois, j’ai laissé l’IA monter jusqu’à 3500 itérations, mais guère plus, parce que tous ces calculs prennent leur temps et que j’ai toujours été trop impatiente de tester mon idée suivante. Même si on a des images plus précises, moins brouillon à partir de plusieurs centaines d’itérations, j’ai tendance à bien aimer aussi les images du début, à 50 ou 100 itérations. Elles semblent peintes à gros coups de pinceau, elles ont du caractère, parfois je les trouve mieux que l’image “finale”.

a village in the south of france in the style of Hayao Miyazaki (pour le style de Miyazaki ce n’est pas tout à fait ça)
Niki de Saint-Phalle (postcard)
the birth of the cosmos (watercolor)

On peut ajouter des indications pour guider l’IA, par exemple “watercolor” pour un rendu aquarelle, ou “render” pour viser un rendu 3D plus réaliste. J’ai testé de lui demander de la linogravure, de la gouache, de l’encre, des tracts, un rendu “roman graphique”… J’ai mis ici ce type d’indications entre parenthèses pour plus de clarté. Vous pouvez faire clic droit/ ouvrir l’image dans un nouvel onglet pour voir les images en plus grand.

j’avais demandé quelque chose comme “un tract qui dit que les lesbiennes sont géniales”. L’IA a ajouté les mains qui se tiennent toute seule. J’aime bien.
a house made of zamioculcas (render)
a cartoon cat eating lasagnas (je voulais voir si j’allais obtenir Garfield, le résultat est mitigé)

Je parle anglais à l’IA car lorsque je lui donne des indications en français, elle se sent souvent obligée de mettre un petit drapeau tricolore, comme si le fait de parler français était une indication en soi.

Beyoncé
Twice members
Britney Spears

Demander des figures humaines est toujours un peu compliqué et on s’expose à des résultats assez flippants. En plus de la décontruction des corps, j’ai l’impression que l’IA nous colle souvent des éléments animaux : Beyoncé a l’air d’avoir un bec de canard, les membres du groupe Twice ressemblent à des hamsters (et il y a un genre de poule/ kiwi qui s’est invitée). Quant à Britney Spears, euh… L’IA a retenu UN truc apparement : le NOMBRIL. Du coup, elle en a mis PLEIN. Désolée Britney.

poésie et memes

Once upon a time, there was a lovely princess. But she had an enchantment upon her of a fearful sort, which could only be broken by love’s first kiss. She was locked away in a castle, guarded by a terrible fire-breathing dragon. Many brave knights had attempted to free her from the dreadful prison, but none prevailed.
Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

Comme je ne connais pas trop le code utilisé, quand j’ai un message d’erreur je peux passer longtemps à tâtonner. J’ai voulu voir quelle quantité de texte on pouvait mettre, imaginez par exemple une image générée par le texte d’un livre entier ? L’oeuvre de Shakespeare interprétée en UNE image ?? Bon, j’ai pas testé avec Shakespeare mais j’ai voulu tenter avec le script entier de Shrek 1 (c’est presque pareil). Bing, message d’erreur. J’ai cru que l’erreur venait des caractères spéciaux “♪” présents lorsqu’il y avait une chanson, j’ai donc passé un moment à enlever toutes les notes de musique du script. Message d’erreur. Je me suis dit que non, décidemment, ça devait venir de la longueur. D’ailleurs ça faisait bugger le formulaire où on donne le sujet, j’avais du mal à seulement sélectionner une partie du texte. J’ai donc essayé de réduire, réduire, jusqu’à rester sur la première phrase seulement. Je crois avoir compris quelque part qu’il y avait une limite de 77 mots, mais je ne sais même plus comment j’en étais parvenue à cette conclusion. Pour continuer dans cette lignée “sujets longs”, j’ai donné la dernière strophe de Demain dès l’aube, le fameux poème de Victor Hugo.

A world of dew,
And within every dewdrop
A world of struggle.
(linocut print)

haïku de Kobayashi Issa
I write, erase, rewrite
Erase again, and then
A poppy blooms.
(gouache painting)

haïku de Katsushika Hokusai
The light of a candle
Is transferred to another candle—
Spring twilight
(black ink)

haïku de Yosa Buson

Donc je me suis rendu compte que j’aimais bien donner de la poésie à l’IA et voir ce qu’elle en ferait. Mais il ne fallait pas que ça soit trop long. Je me suis alors fort logiquement tournée vers : les haïkus. J’aime beaucoup ce que ça a donné.

Mairie de Montreuil (pour une fois les drapeaux français sont justifiés)
pour celui-là j’ai juste testé des lettres au hasard, genre “fcdklsfkslkslfklksdmflk”
blue coffee mug on a wooden table (render)

Ci-dessus, j’ai tenté de recréer le meme “loss”, si connu sur internet qu’il est devenu un symbole un peu maudit, même dans sa forme la plus allégorique : | || || |_
Et je suis désolée de vous annoncer que l’IA connaît Loss. En donnant comme sujet ce seul mot (pas d’indication du type “comic”, “meme”), on a bien la structure en 4 cases et on peut plus ou moins reconnaître le motif “sujet seul, sujet + quelqu’un derrière un comptoir, 2 sujets debout, sujet + quelqu’un d’allongé”. Voilà voilà.

l’obsession est installée.

Ghibli house

Ci-dessus, un exemple de prompt que j’ai laissé tourner longtemps, environ 3500 itérations. J’avais donné comme sujet “Ghibli house” et je crois que c’est l’un de mes résultats préférés. Il y a un feeling “photo argentique” que j’adore.

Snail fanzine.

Look at them go !!
A person made of bubbles.
La Joconde.

J’ai été étonnée de voir apparaître une foule -mais enfin, ça n’a rien à voir avec la Joconde- avant de réaliser qu’on voit rarement de photo du tableau sans voir aussi une foule de gens venus voir la nana la plus célèbre du Louvre

Exemple d’un même sujet à trois différents niveaux d’avancement. On va vers un résultat de plus en plus réaliste, mais encore une fois j’aime aussi beaucoup le résultat du début. Le sujet était : peaceful artist workshop with plants and a lot of sunlight.

“blue person on a yellow background”, 4 différents niveaux d’avancement. Bon, c’est devenu “blue person with a yellow face on a blue background” mais ça me va aussi. D’ailleurs le fond se met petit à petit à se teinter de jaune, peut-être que l’IA s’est rendu compte de son erreur et a tenté de rectifier le tir.

les mois de l’année

Ci-dessus, j’ai donné comme sujets les 12 mois de l’année. Quelque chose comme 500 itérations à chaque fois. J’aime beaucoup les résultats de juin, juillet et novembre. Parfois, comme inquiet qu’on ne le comprenne pas bien, l’algorithme écrit carrément le mot demandé dans l’image. Ça vient sûrement des calendriers.

on brûlera

On brûlera toutes les deux en enfer, mon ange
J’ai prévu nos adieux à la terre, mon ange
Et je veux partir avec toi
Et je veux mourir dans tes bras
Que la mer nous mange le corps, ah
Que le sel nous lave le cœur, ah
Je t’aimerai encore Je t’aimerai encore Oh je t’aimerai encore
Je t’aimerai encore

Après les extraits de poésie, des paroles de chanson. J’ai testé avec “On brûlera” de Pomme, en français dans le texte d’où la récurrence du bleu-blanc-rouge (super…) J’avais donné comme indication en plus à chaque fois “watercolor”

encore plus d’exemples !!

90’s game box
un portrait de famille

(oui, c’est très très creepy)
le volcan de Geldingadalir
(l’IA a apparemment décidé d’en faire une maquette)
une mésange à l’aquarelle
une cuisine orange
David Bowie peint par Vermeer
portrait of the patriarchy

lol

Les algorithmes ne sont jamais neutres et on peut noter des biais dans les résultats. Une manifestation fréquente et flagrante est que lorsqu’il y a une figure humaine elle a par défaut presque toujours la peau blanche. Ce biais raciste est fréquent malheureusement. Ou encore, exemple ci-dessus, j’avais donné comme sujet à l’IA “portrait of the patriarchy”, m’attendant à obtenir l’archétype du vieux patriarche, mais j’ai vu apparaître des figures plutôt “féminines” : cheveux longs, rouge à lèvre, teintes roses. Elles avaient aussi des badges et les cheveux teints en bleu ou en violet… Oh mon dieu ! Des féministes ! Bah oui, qui est-ce qui parle le plus du patriarcat : les féministes, donc l’IA a considéré dans un magnifique contre-sens que les féministes incarnaient le patriarcat.

a fairy portal
Oula, je ne sais même plus ce que j’avais donné comme sujet ici. Quelque chose en rapport avec Star Wars. Et des bateaux. Avec des mouettes.
une bibliothèque dans le style de Baz Luhrmann
un port ensoleillé photographié au polaroïd
une couverture de roman graphique sur le capitalisme
le portrait de dieu, je crois
anxiety
zut, j’ai oublié le sujet donné.
des moulins à vent dans le style de Gaudì
une personne faite en salade
une maison rouge dans les Monts du Lyonnais (rouges aussi, apparemment)
His Dark Materials
(la série de romans de Philip Pullman)
un rêve que j’avais fait. Il était question de mon chat ayant attrapé un oiseau
un village bleu
le mot “maison”

Pourquoi est-ce que je publie tout ça ici, sur mon site censé montrer mon travail ? Déjà parce que je considère ça comme des recherches, que ce sont des sujets qui me passionnent : la création automatisée, le recours au hasard, l’envie irrésistible de voir une âme dans des lignes de code. J’adore qu’on navigue en plein dans la vallée de l’étrange, avec ces images complètement dérangeantes constituées pourtant d’éléments familiers que l’on peut reconnaître et nommer.
D’autre part, ça pose une question que je trouve très intéressante : suis-je la créatrice de ces images ? Pourrais-je, par exemple, en faire une exposition ou toucher des droits d’auteur dessus ? Ce n’est pas moi qui les ai crées, composées. Est-ce que le crédit revient alors à la personne qui a codé et entraîné cette intelligence artificelle ? À l’IA elle-même ? (soyons fous) Mais après tout, si je n’avais pas lancé les sujets, ces images n’auraient pas existé. L’IA les a générées parce que je le lui ai demandé. Je pense que ça peut être une forme d’art.

le meilleur moment de ma journée

En 2018, j’avais tenu un temps un carnet dans lequel je notais chaque soir le meilleur moment de ma journée. J’ai repris quelques uns de ces moments pour en faire des sujets à donner à l’IA, en les traduisant en anglais et en les simplifiant un peu parfois. Je vous mets ici les images obtenues mais je n’ai pas envie de donner les sujets en question, je préfère que vous les imaginiez à partir des images.

vieilles lesbiennes

Pour finir, ce dernier projet où j’ai lancé à la chaîne des variations du même sujet : “old lesbians”. Puisque j’ai à ma disposition un outil qui génère des images qui n’existaient pas précédemment, je lui ai demandé les images qu’il me manque dans ma vie : des images de lesbiennes âgées, ce happy end qu’on voit si peu, cet avenir qu’on a, du coup, du mal à imaginer. J’en ai fait plein de variations, un peu comme les Martine : vieilles lesbiennes en voiture, vieilles lesbiennes à la plage, vieilles lesbiennes avec des chats, vieilles lesbiennes heureuses.

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